Par Ollivier Ruca
Définition du mot utopie selon le Larousse : projet qui paraît irréalisable
A force de nous faire croire que le bonheur se trouve dans la consommation, d’individualiser les profits pour mieux socialiser les pertes; A force de révoltes avortées, de consensus mous, de fausses concertations, de démissions, de manipulations soigneusement encadrées par « les nouveaux chiens de garde » que sont aujourd’hui des médias à la botte des financiers et de leurs multinationales consacrant la toute puissance du capitalisme ; A force, donc, d’avoir oublié nos devoirs de citoyens pour devenir des consommateurs, la religion de l’argent est devenue une réalité, une finalité, un dogme absolu.
Nous ne sommes plus à un stade national ou continental. Le nouveau défi qui est engagé pour tous les états se situe au niveau de la planète, selon un principe venu de la nuit des temps, principe selon lequel il n’existe aucun modèle de société qui ne se soit préalablement construit sans échange, ce qui revient à dire qu’un système politique se crée postérieurement à une économie. Il n’y a, dans l’histoire de notre humanité, aucune exception à cette règle d’une organisation économique antérieure à toute organisation sociale.
C’est ce que nous vivons aujourd’hui à l’échelle mondiale. Le premier constat qui ressort de cette globalisation en marche que nous observons actuellement est éloquent. Il est bien loin d’un de nos principes fondateurs qui avance que la grandeur et la noblesse d’une société se mesure par la solidarité, l’aide, le soutien qu’elle met en œuvre pour s’occuper du plus faible, et non, comme c’est le cas actuellement dans les pays riches, par la glorification du loup, c’est-à-dire du plus fort.
20% de la population mondiale consomme 80% des ressources. 25% de la population de la planète n’a pas accès à l’eau. L’hémisphère sud crève devant l’obésité du nord. Les droits inaliénables des individus en terme d’éducation, de santé, de dignité, sont foulés aux pieds. Les pouvoirs économiques engendrés par le sacro saint marché supplantent totalement les pouvoirs démocratiques. Le Nouvel Ordre Mondial et ses trusts financiers, usant d’une rhétorique en trompe l’œil, où le capitalisme s’est mué en libéralisme, se chargent quant à eux, grâce à une dette fictive largement compensée par les intérêts bancaires versés depuis des décennies aux banques privées, de mettre les Etats sous l’éteignoir.
Ces constats sombres, amers et édifiants, nous les connaissons parfaitement et il est inutile d’aller plus en avant dans un inventaire à la Prévert qui ne ferait que confirmer que la religion de l’argent est une calamité sur un plan humain.
D’une position passive de constat, si nous voulons retrouver un chemin de lumière, il importe que nous passions désormais à une attitude de combat, du moins que nous retrouvions à minima cette force de prospective qui a longtemps fait notre force, notre richesse et notre diversité.
Sur ce chemin qu’il nous appartient de retracer, ce travail n’a pour autre objectif que de définir bien modestement deux pistes possibles, bien concrètes, même si certains pourront parler d’utopie, en prévision de cette nouvelle confrontation inéluctable qui s’opèrera d’une manière ou d’une autre avec les tenants du capital et leurs sbires.
La première sera celle du respect de l’histoire qui nous signifie clairement que parler aujourd’hui de plein emploi est une hérésie et un non sens. La seconde, quant à elle, dessinera les contours d’une approche sur le bien fondé d’une loi sur la séparation de l’Entreprise et de l’Etat.
Le respect de l’histoire
L’invention de la machine par l’homme répond à deux objectifs précis que l’on retrouve dans tous les manuels d’économie : il s’agit, d’une part, d’augmenter la productivité et, d’autre part, de libérer l’homme du travail. Augmenter la productivité ; Libérer l’homme du travail. Cette analyse est incontestable et incontestée. C’est sur ce principe toujours de mise que nos sociétés se sont construites. Tout va de plus en plus vite. Ainsi, alors qu’il a fallu des millénaires pour inventer la roue, aujourd’hui, ce sont des dizaines de milliers de brevets qui sont déposés chaque année à l’Office européen des brevets, autrement dit, des millions à travers le monde. C’est ce que l’on appelle communément la courbe exponentielle du progrès.
A priori, l’omniprésence de la machine dans les sociétés dites modernes semble répondre aux objectifs définis. Les stocks en tous genres sont là pour rappeler que nous sommes, dans l’hémisphère nord, bien plus près de la surproduction, voire de la saturation, que de la simple production. D’autre part, l’univers informatique qui s’offre à nous facilite incontestablement la tâche, mais supprime des pans entiers d’activités. Là où 3 000 ouvrières produisaient 1 000 000 de pull-over par an, 30 assurent aujourd’hui la même production. L’explosion de la robotique, l’intrusion massive de la nanotechnologie, la technique de l’infiniment petit, génèrent des migrations gigantesques en terme d’emploi. Une nouvelle société émerge. Plus de machines, moins d’emploi. Plus de temps libre, moins de travail. La mondialisation en cours, qui transfère les productions dans d’autres lieux de profits, amplifie ce qui devient une évidence : le travail se raréfie. On crie au danger ! Il faut assurer le plein emploi ! Il n’y a plus de travail ! Il n’y a plus de travail, mais n’est-ce pas l’objectif initial : libérer l’homme du travail ? N’est-ce pas la définition et la mission même de la machine ? En ce sens ne serions-nous pas en mesure de gagner notre liberté dans le fait même que la machine, quelle qu’elle soit, se substitue à l’homme ? Ne faudrait-il pas au contraire crier victoire ?
Cela n’empêche nullement nos dirigeants de tous bords de prêcher, à chaque élection, pour une politique de plein emploi. Le travail est un droit constitutionnel. A les entendre, la courbe du chômage, en lien direct avec celle de la croissance, d’une inflation bien maîtrisée, et le savoir-faire de lobbies et d’une énarchie à la solde des multinationales, doit pouvoir être contrôlée. Ils nient ce constat pourtant évident : le travail se raréfie. Nous assistons donc, non pas au partage du travail, mais à sa division, sa précarisation, un patronat souverain veillant sur nos intérêts, allant jusqu’à vouloir, comme Dieu le père, s’occuper de nos retraites par le biais de fonds de pension opaques et aléatoires qui ont pourtant déjà, à travers le monde, laissé sur le carreau, et ce n’est qu’un début, des centaines de milliers de personnes, bientôt des millions.
Les politiques libérales successives ne répondent pas à une simple question de fond : pourquoi, si la machine libère effectivement l’homme du travail, ne pas accepter cette réalité ? La liberté serait-elle devenue un fardeau ? Pourquoi, si la machine nous libère, ne devrions-nous pas nous réjouir ? Bien simplement parce que, que nous l’admettions ou pas, nous sommes tous les enfants d’une société judéo-chrétienne qui fait du travail la condition nécessaire pour asseoir les privilèges des castes dirigeantes. Nous sommes persuadés que la base de notre vie est un échange avec un patron ou une structure. Le travail est obligatoire. Nous avons construit notre histoire sur ce principe. Nous admettons cette certitude du travail alors que personne ne peut répondre de manière précise sur le fait de savoir si la nature de l’homme est de travailler ou pas. Avons-nous de la fourmi ou de l’abeille ou sommes-nous comme le lion ou l’ours ?
Il n’empêche, le plein emploi est devenu un non sens, une hérésie et une négation de l’histoire en marche. Une fois le nouvel ordre mondial mis en place, une fois l’économie planétaire ayant renvoyé un peu l’ascenseur à l’hémisphère sud, la machine prenant partout possession de l’espace, il y aura de moins en moins d’emplois. Les restructurations en cours sont trompeuses. Elles créent une multitude d’activités de services générant de nouveaux emplois, mais suppriment des secteurs couvrant des centaines de milliers de salariés. Qu’on le veuille ou non, la machine continuera à se substituer à l’homme. C’est cette évidence, cette lecture de l’histoire qu’il nous faut impérativement prendre en considération.
Mais cette vision ne correspond pas aux schémas établis par les sphères dirigeantes. Pour elles, le travail n’est pas une finalité, mais un moyen pour tenir les masses à disposition. Les chiffres du chômage sont des chiffres d’Enarque. Toute économie libérale, pour un bon développement, doit maintenir un chômage entre 8 et 10%. C’est un chiffre défini. C’est celui qui met la « bonne pression » sur le salarié.
Nous maintenons l’illusion du plein emploi par une série de mesures très douteuses : statistiques, radiations, obligations, déréglementations, culpabilisations. Le capital est un loup pour l’homme, avec les mêmes pratiques ancestrales. Quelle différence entre ces mineurs, ces petites mains de nos grands-pères et une désosseuse d’abattoir, un pupitreur ou un salarié d’un centre d’appel ? Les acteurs sont les mêmes, mais le décor a changé.
La machine en fait donc de plus en plus. Loin d’être un handicap, cette situation, si nous apprenons à la maîtriser, est une opportunité à saisir pour nos sociétés. C’est une simple vue de l’esprit. Il ne faut plus considérer une vie de travail imposé, mais construire son existence sur un projet de vie choisi. Impossible vous diront les Elie Cohen ou les Alain Minc à la solde du libéralisme et de sa pensée unique. C’est au contraire tout à fait possible en taxant, non plus l’emploi, mais la machine. On répondra que c’est une folie, une utopie. L’instauration d’un revenu minimum de vie payé pour une part par la machine, et pour une autre par un prélèvement proportionnel sur les transactions financières, deviendra vite une évidence.
La raréfaction du travail nous emmène vers le principe des projets de vie collectifs ou individuels choisis qui seront les moteurs de toute existence. Ils sont légions : accompagner la vieillesse de l’autre, préserver notre cadre naturel, soutenir le développement de l’hémisphère sud, combattre les isolements, ou plus simplement peindre, réfléchir, car finalement, comme l’écrivait La Bruyère dans « les caractères », « ne rien faire, c’est effectivement travailler »… Autant de projets qui auraient un autre sens que d’enrichir une poignée d’hommes au détriment de notre espace et de notre prochain. Une utopie ? Non, une évidence, si nous acceptons enfin de voir la réalité en face : la machine libère effectivement l’homme du travail.
La séparation de l’Entreprise et de l’Etat
Une nécessaire loi sur la séparation de l’Entreprise et de l’Etat pourrait un jour également apparaître comme une évidence.
L’obscurantisme religieux qui a régné sur notre pays une bonne quinzaine de siècles n’a jamais été synonyme de progrès, ni sur un plan humain, ni sur un plan scientifique. Il aura fallu l’apparition de la typographie et du livre, les consciences éclairées de nos Lumières, plus d’un siècle de combats incessants, pour qu’au début du 20ème siècle, le « petit père » Combes parvienne définitivement, par une loi drastique, à libérer le pouvoir temporel du joug du spirituel. Quand, en 1905, il fait voter par l’Assemblée la loi de la Séparation de l’Eglise et de l’Etat, Combes ne fait pas que des heureux. Les religieux doivent quitter les hôpitaux, les administrations, les écoles. Des siècles d’hégémonie remis en cause par une simple loi. Une manne financière gigantesque qui s’évanouit sur un vote. Une tutelle millénaire qui cesse de s’exercer par la volonté des hommes de choisir leur voie en dehors d’une vérité révélée sous forme de fable. Séparer les pouvoirs spirituels et temporels a été une solution viable et efficace pour libérer l’homme d’une religion dogmatique ne servant l’intérêt que de quelques uns, tout en établissant une morale fondée sur l’interdit et la culpabilité.
Un siècle plus tard, cette loi est mise à mal, et son application sans cesse bafouée. Les religions, par un ensemble de satellites et de puissants réseaux élitistes, sont parvenues à la contourner. La manne de l’Etat, dans une sociale démocratie chrétienne conservatrice, continue à octroyer de nombreux subsides. Rome encaisse toujours de confortables rentes par le biais d’associations largement subventionnées grâce aux fonds publics. Son école est favorisée. Ses positions sont préservées.
Le danger est pourtant ailleurs : une nouvelle fois, dans la main mise totale que l’économie impose aujourd’hui à l’Etat. Comme nous l’avons dit, la nouvelle religion qui s’affirme est celle de l’argent. Petit à petit, pas à pas, elle envahit tout. En martelant, par médias interposés, que la consommation c’est le bonheur, les puissants font de cette nouvelle religion la base de tout. L’argent n’est plus un moyen d’échange, mais une finalité de la vie. Il faut faire du fric, générer du « biz »…
L’entreprise supplante l’église. Pour ces nouveaux apôtres, l’argent est le moteur de toute réflexion, de toute action. C’est la clé du bonheur… et du pouvoir. Aucun être humain ne doit ignorer ce nouveau chemin. Aucune barrière ne doit se dresser. C’est le sens de la mise en place en 1995 des accords sur l’Organisation Mondiale de Commerce, cette fameuse OMC qui ravage aujourd’hui la planète. Marché, rentabilité, profit, productivité, résultat, bénéfice, croissance, inflation, ce sont les nouveaux mots d’ordre. Sécurité, inégalité, individualité, c’est la nouvelle devise. Consomme et tais-toi remplace prie et tais-toi! L’intrusion des dogmes religieux dans les affaires de l’Etat est une calamité. L’imposition de ce nouveau dogme universel est peut-être pire.
Le parallèle entre l’entreprise et l’église est d’autant plus évident que les deux savent parfaitement s’entendre quand il s’agit de s’emparer du bien public. Les journaux financiers sont la Bible des temps nouveaux. L’image a remplacé l’icône. Des animateurs journalistes à l’ordre nous parlent de la croissance, comme les moines sermonnent la résurrection du triste ressuscité. Des ministres patrons, moulés dans une énarchie ultra libérale, nous gargarisent de mots économiques, comme les curés ânonnent leur leçon évangélique. Combien de milliards de pots de vin ? Combien de complicités financières ? Combien de postes supprimés sur une simple logique de profit ? Combien de misères pour qu’une poignée d’humains ait l’illusion d’un bonheur révélé sans conscience ni consistance ? Le tout consommation bouscule les valeurs, chamboule les repères. Faire croire que le bonheur se trouve dans la consommation, dans l’achat, la possession, c’est ça le bonheur révélé !
Vivons heureux, vivons riche ! Cela peut apparaître comme un non sens, mais c’est pourtant ainsi. Un renversement de tendance. L’argent ferait donc finalement le bonheur ? Sa religion envahit notre espace. Economie, publicité, consommation, notre vie est désormais liée à ce nouveau dieu tout puissant. L’espace public et laïque s’amenuise de jour en jour. A l’heure où les lobbies bruxellois convertis veulent ouvrir en grand les écoles et les hôpitaux aux multinationales de rentabilité et de productivité, le pouvoir temporel se laisse malmener par cette nouvelle religion qui va à l’encontre de nos principes républicains jetés aux oubliettes. Les grands patrons sont les nouveaux Charlemagne. Glaive dans une main, Bible dans l’autre, la liasse de billets près du cœur, ces marchands de dollars distribuent les bons et les mauvais points, les famines, les guerres, les destins. Le nouvel ordre mondial se construit autour des multinationales sécuritaires. La religion de l’argent achète tout, soudoie tout, déforme tout, fait exploser une à une nos structures sociales, rentre partout, au plus profond de nous…
La religion de l’argent, symbolisée par ces multinationales pétries de bonnes intentions pour tous et d’actions sonnantes et trébuchantes pour quelques uns, impose donc aujourd’hui à l’homme ce nouveau dogme de la consommation pour accéder au bonheur révélé. C’est un nouveau défi qui se présente.
Il nous faut contrecarrer les méfaits de cette nouvelle religion. Pour paraphraser Gambetta : l’argent, voilà l’ennemi ! Quelle capacité avons-nous de le ramener à l’état de moyen, pas celui de finalité ? C’est l’enjeu de cette lutte qui doit s’amorcer et se fédérer autour d’une règle simple : fonds publics, utilisation publique !
Aux mêmes causes, les mêmes effets ! Votons une loi sur la séparation de l’Entreprise et de l’Etat, sur la séparation du privé et du public. Ne parlons plus seulement de séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais également de séparation de l’Entreprise et de l’Etat. Exit les multinationales du bien public ! Sortons les laboratoires pharmaceutiques des hôpitaux, interdisons nos écoles aux requins de la consommation, chassons de nos administrations le mercantilisme bruxellois des lobbies rapaces. La santé et l’éducation sont des droits inaliénables. Les notions de rentabilité ou de résultat sont ici incompatibles avec le droit humain. Notre pays n’a jamais été aussi riche. Il n’y a jamais eu autant de détresses, physiques ou matérielles. Si la consommation fait le bonheur, c’est uniquement celui de quelques nantis perdus dans leurs citadelles. La corruption gangrène l’Etat, la notion de bien public disparaît, les laïques sont récupérés par les laïcs. Etat, lève-toi !
Le bonheur révélé n’est qu’un leurre de plus, au même titre que ces vérités religieuses révélées qui hantent notre planète. Evitons ce nouveau piège. Séparons clairement les pouvoirs du privé et du public. Cette décision salutaire nous a valu près d’un siècle d’unité nationale. Ne faisons pas confiance à ces acheteurs d’âmes et ces faiseurs de fric! Le bien public est inaliénable. C’est celui de savoir lire, compter et écrire. C’est celui de la dignité et du respect de soi-même et de l’autre. C’est celui de la tolérance, de la complémentarité dans la diversité. Mais, comme la religion de Rome à son heure, la religion de l’argent se moquent bien de ces considérations : consomme ou crève…
Respecter l’histoire, séparer les pouvoirs. Deux voies que l’humanité pourrait librement choisir si elle en avait objectivement les moyens ou peut-être plus simplement la volonté, cette volonté occultée aujourd’hui par la facilité, les trop pleins de compassion, la répression, le retour de la charité, le mensonge et la démagogie.
Il ne s’agit pas de décrocher la lune, mais d’une simple prise de conscience, d’une reprise en mains de nos vies. Se détacher de la matérialité et de l’individualité pour retrouver tous les bienfaits d’une cohésion assise sur la solidarité, le partage, une conscience à nouveau éclairée qui pourrait, par exemple, prendre racine à partir d’un premier geste fort : l’interdiction de la publicité dans tous les lieux publics.
Il ne s’agit pas d’extrapoler, mais simplement d’une prise en considération de notre histoire et de cette évidence que l’on se refuse à accepter : la machine augmente bien la productivité, tout comme elle est aujourd’hui en mesure de libérer en grande partie l’homme du travail.
Il ne s’agit pas d’être contre le travail, car si on peut réussir en travaillant, si l’on peut également échouer en travaillant, sans travail, on n’arrive à rien. Simplement faut-il s’entendre sur sa définition, les bienfaits qu’il peut engendrer, sur toute la noblesse qu’il recouvre et tout l’enrichissement qu’il peut procurer, même si celui-ci ne se matérialise pas en argent sonnant et trébuchant. Un revenu minimum de vie assuré en partie par une taxation sur la machine et non plus sur le salaire permettrait réellement à l’homme de concevoir librement un projet de vie choisi que l’école pourrait mettre en œuvre, non pas en éduquant, mais en éveillant à soi et à l’autre, en insufflant un indispensable civisme laïque et républicain qui nous fait aujourd’hui tant défaut.
Il ne s’agit pas de rejeter le modèle économique de l’entreprise et de son rôle dans notre société, mais de la ramener à un modèle humain raisonnable où la complémentarité s’opposerait à l’unicité, où l’indépendance serait une force, où le local supplanterait l’international, où les effectifs ne seraient pas une armée que l’on mène au combat, où une séparation de l’Entreprise et de l’Etat permettrait aux citoyens de voir préserver ses droits inaliénables que sont l’éducation ou la santé, mais également l’accès aux éléments fondamentaux de la vie que sont l’eau, la terre, l’air et le feu.
Il ne s’agit enfin pas d’une utopie. Ce système est viable.
– Pour le commun des mortels, très globalement, cela se matérialiserait par un Revenu Minimum de Vie qui pourrait être complété éventuellement par un travail salarié, une feuille d’impôt que l’on remplirait en fonction, non pas de son salaire, mais de son taux de possession de machines, de la voiture à la télé, en passant par l’informatique ou le petit ménager.
– Pour les entreprises, plus aucun impôt sur les bénéfices, des contrats de travail simplifiés, mais une taxe sur les machines utilisées, avec un principe basique inverse à ce qui se pratique aujourd’hui : avec l’embauche d’une personne, aucune charge. Avec l’achat d’une machine, une taxe en fonction des emplois non créés ou supprimés.
– Pour l’actionnaire, en revanche, la mise en place de cette économie taxant la machine, ainsi que l’instauration d’un impôt humanitaire prélevé sur l’ensemble des transactions financières nationales et internationales, auraient une influence certaine sur les dividendes, mais surtout sur la reprise en main du pouvoir temporel par les citoyens, au détriment des trusts.
S’il faut, malgré tout, considérer que tout cela ne reste qu’une utopie, ne vaut-il cependant pas mieux s’engager dans cette voie novatrice que de rester dans celle de la démagogie ambiante où la taxe Tobin n’est déjà plus qu’un souvenir, où nous ne sommes plus que des pions que l’on presse et que l’on jette ? Ne vaut-il pas mieux s’engager dans cette voix prospective et audacieuse que s’appesantir dans celle d’un constat où nous n’avancerons plus guère, où la pensée unique est celle du plus fort ?
C’est un tort de croire que l’histoire est un perpétuel recommencement. Par contre, il est exact de penser que les mêmes maux produisent les mêmes effets.
Faute de répondre à la colère et à la misère qui montent, faute d’un partage mondial des richesses, face à ces financiers carnassiers qui rêvent aujourd’hui d’instituer ce nouvel ordre mondial policé construit sur l’exploitation de l’homme par l’homme, gageons que notre humanité, comme la nation française à su le faire à une petite échelle en 1789, saura également, puisque le capital n’a pas de frontière, à New-York, Shanghai ou Tombouctou, aller chercher les gros actionnaires de la planète dans leur tours d’ivoire et leur bureau de verre, avant de leur faire rendre raison, face au monde, du mal et des injustices commises…
Et là, il ne s’agit nullement d’utopie, mais d’une simple observation de l’histoire de notre humanité. Après l’économie mondiale viendra inéluctablement une nouvelle ère sociale universelle. Seuls le comment et la date reste à fixer…
Si l’utopie d’un instant n’est peut-être pas la réalité de demain, elle peut, en revanche, n’en rester pas moins, l’espoir d’une autre réalité pour demain.