BRIEG (Saint-Brieuc à travers le temps)
Quand Patrick d’Irlande interrogea Brieg sur ses motivations profondes, la première énoncée fut : « Celle de rendre les gens heureux. » Face à un prélat sceptique, il lui proposa d’en apporter la preuve sous moins d’une heure. En cas d’échec, il acceptait les funestes conséquences. J’en frémissais. Le fou !
Cartes en main, sûr de lui, Patrick d’Irlande savourait l’instant, s’amusant de la naïveté de son vis-à-vis, pensant à sa prochaine exécution par la main de Rigwal, qui assis derrière lui faisait profil bas. Fracan, lui se tenait prudemment en retrait. Les deux outres à vin payaient le prix de leur allégeance, abandonnant leur ami au bûcher.
Quand je vis le chaudron fumant rempli de lait, je compris. Brieg avait chargé la potion. Vingt grammes par litre, dix fois la dose que j’avais ingurgitée. Cent litres. Vingt kilos d’herbacée ! J’imaginais par avance le tableau, connaissant les effets ravageurs de sa mixture à forte dose, redoutant la réaction de Patrick d’Irlande qui allait s’engouffrer dans l’acte de sorcellerie.
Le temps que le dernier villageois prenne son écuelle de lait, un premier rire monta, puis un autre et encore un autre. Une dizaine de minutes plus tard, la place du village ne fut que rires, larmes de joie, accolades, allégresses. La rigolade finale. Le Stonehenge d’une désopilante hilarité généralisée. Certains ne purent se retenir et urinèrent dans leurs braies.
Patrick d’Irlande ordonna aux Chrétiens d’y goûter avant d’en ingurgiter à son tour. Il but la mixture pour constater cet étrange prodige à produire du rire, avec le même effet trente minutes plus tard. Il se tordait en imaginant Jésus marchant sur l’eau ou trinquant avec Dieu. On ne l’arrêtait plus, comme on ne l’arrêta pas quand l’appel du tonneau sonna pour Brieg, Rigwal et Fracan. Patrick d’Irlande était tout aussi redoutable à vider sa coupe qu’il ne l’était à vendre son dieu. Duo, trio, quatuor, une bande de poivrots ! Boire à la même cruche créait des affinités, comme la nostalgie du pays et des traditions. Le son de la cornemuse monta tard cette nuit-là.
Le lendemain, loin des foudres que les Chrétiens espéraient la veille de la part du dignitaire de Rome, Patrick d’Irlande s’en fut comme il était venu avec des plants, la recette de la potion à produire du rire, trente tonneaux de vin, bénissant ostentatoirement Brieg avant de lui porter l’accolade, l’assurant qu’il était un Saint. Il ordonna que ce village portât désormais son nom. Brieg lui, préférait la Cité Gentille.
Un moment inoubliable, béni par Patrick d’Irlande en personne. Aucun Chrétien n’avait jamais tant ri. Sant Brieg ! Respect ! Par la suite, grâce à la potion servie par Brieg lors des solstices, nous eûmes de longs moments de rires et de paix retrouvée dans le village. Les Chrétiens se calmèrent, tout comme Rigwal et Fracan sur la picole.
Quand je questionnais Brieg sur le nom de cette plante magique venue d’Orient qui nous avait sauvé la vie, il me répondit qu’en latin on l’appelait Cannabaceae sativa, mais que lui, il la nommait : « Plante de la joie et du bien-être. » Si les voies de leur dieu sont impénétrables celle de la nature sont considérables.
ST-BROC (Saint-Brieuc à travers le temps)
Paris s’éveille, Saint-Broc roupille encore. On ne peut pas dire que la ville brille par son dynamisme. Gronier, le nouveau maire, dit qu’il va la réveiller. Bon courage. D’autant que l’homme est vif comme un escargot en transe. Le changement sans mouvement ! La formule est belle, mais on ne comprend pas trop ce qu’il veut dire. Lui non plus d’ailleurs. On peut miser une pièce là-dessus. Quant à légaliser le joint, oui… mais pas dans SA ville. On applaudit le faux-cul. Une belle tête de vainqueur, un beau spécimen de socialo de salon à la rhétorique à deux balles. Il sent la poudre de perlimpinpin à plein nez, ce coco-là. Un froid du cul, un manche à couilles, un opportuniste puant, suffisant, dédaigneux, à la vérité innée. Il surfe sur l’élection de Mitterrand. Comme dit Bird à propos de Gronier : « À force de vouloir péter plus haut que son cul, son cul a pris la place du cerveau ! » Poète à ses heures, le père Bird.
Gronier s’est reproduit : Grovost, un taureau frisé pesant son quintal, un autre enseignant qui écoute la voix de son maître. Lui, il veut souffler un nouvel élan à la ville. On applaudit le sens de la nuance. Une belle brochette de représentants du peuple. Un couple composite, comme la R5 et l’Abribus. Des moments, on doute du recrutement à l’Éducation Nationale ! Autant l’autre fait jésuite, réservé, presque fourbe, autant celui-là avec sa gueule pas possible, son ego de démago du boxeur à la pesée, se révèle être bonimenteur jusqu’au bout des ongles. Il est partout et se prête facilement à la représentation. Une photo pour les journaux, avec sa carrure, c’est le hussard du premier rang. Être à côté des chefs pour un jour être Chef, c’est Son trip. Il cause, il cause, mais on ne voit pas très bien ce qu’il fait. Un avis sur tout, mais surtout pas d’avis. Des idées, tout le temps, qui s’envolent avec le vent.
Le duo magique veut réveiller la ville, mais en attendant, rien ne vient troubler le silence. Le Briochin dort comme un loir. Le Briochin, il est comme ça : il s’en fout. La France vient de gagner le championnat d’Europe des footeux. Y’a plus qu’à devenir Champion du monde, sauf que là, il se trouve toujours un pied brésilien ou allemand pour gâcher la fête. Et s’ils jouaient sur une jambe ? gamberge Marin.
7EME SUPPORT
Rome, décembre 1636
Au coin de la cheminée, Nicolas réfléchissait profondément. Anne-Marie épluchait des légumes pour la soupe. Jean faisait le point des tableaux et des commandes en cours. Le peintre avait travaillé comme un forcené depuis six mois. Le résultat en valait la peine. Neptune, Silène, Pan, Bacchus, les Bacchanales promises à Richelieu avaient été expédiées. Comme à son habitude, Nicolas s’occupait personnellement de la finition, du cadre, de l’emballage et de l’envoi des tableaux. Les louanges reçues en retour le rassuraient sur les compliments qui circuleraient à la cour de France. Pour les Sept Sacrements commandés par dal Pozzo, là aussi, il avait bien avancé. Le Mariage et l’Extrême-Onction étaient terminés. Deux autres, la Confirmation et l’Ordination le seraient sous peu et les croquis concernant les trois autres, l’Eucharistie, la Pénitence et le Baptême avaient été bien accueillis par son généreux mécène.
1637 s’annonçait chargée. Outre les sacrements de dal Pozzo, Nicolas avait des commandes qu’il ne pouvait pas se permettre de décaler. Paysage avec Junon et Argus, que la famille Giustiniani avait passée par le biais d’Orazio, un membre influent de l’Inquisition, à qui l’on prédisait de hautes fonctions, qu’il valait mieux ne pas décevoir… Côté France, la commande du marquis Louis Phélipeaux de la Vrillière, membre de la haute noblesse de France, conseiller du roi en ses Conseils, secrétaire d’état, par son mariage avec Marie Particelli, la fille du surintendant des finances, était incontournable. Côté Espagne, impossible de dire non au Paysage avec Saint Jérôme du roi Philippe IV. Ne pas oublier le tableau La Récolte de la Manne pour Paul Fréart de Chantelou, sans compter les impondérables…
L’année serait intense, mais Nicolas comptait peindre son chef-d’œuvre pour Dana. L’Apport Primordial ! Il avançait sur l’idée. Depuis son retour, il ruminait. L’Apport Primordial ! Il vivait un « le concetto ». Le fait de penser, d’imaginer, de créer intérieurement. Létape capitale. Il définissait l’ordonnancement des éléments, ébauchait les perspectives, travaillait les couleurs. Une phase de recherches, de documentations importantes. L’établissement de l’énigme. Discrètement, il s’imprégnait de ce qu’il trouvait sur le Languedoc, des lointains Phéniciens abordant à Port-Vendres, lieu de sa première rencontre avec Dana, à la Septimanie romaine, en passant par l’hérésie des Cathares. Nicolas se concentrait sur la matière à disposition. Elle ne manquait pas dans les bibliothèques vaticanes. Il se focalisait sur cette toile, sur le génie, cette fois le terme était justifié, qu’il devait déployer pour coder son tableau. Pièce par pièce, il construisait dans sa tête une première esquisse du tableau. Son « concetto » prenait une dimension exceptionnelle. En codant ce tableau, il entreprenait l’Acte de sa vie.
Nicolas réaliserait ce chef-d’œuvre en conservant sa technique, son approche. Il entendait que son travail aille au bout des choses, qu’il révèle, transmette, mais qu’il soit muet, sans éloquence, classique et baroque, pour celui qui ne saurait pas lire. Entre prudence et révélation, un exercice de haute volée était proposé. Porter au plus haut l’art de l’énigme, du mystère, de la transmission et de la révélation. Pas une mince affaire ! Il prenait son temps pour méditer, faire des choix.
Un « génie ». Le peintre n’oubliait pas sa jeunesse de petit campagnard en Normandie. Il se réfugiait derrière la notion d’artisan, ce qu’il était. Loin des fastes des palais, de sa notoriété européenne, c’est dans la promiscuité de son atelier, dans son antre où quelques rares privilégiés y pénétraient, dans la solitude face au chevalet, qu’il trouvait son accomplissement. Un artisan… Nicolas asseyait son savoir-faire sur l’expérience acquise au cours de ses années, glorieuses ou pas, n’apportant que de rares modifications à son processus de création. Chaque toile naissait de façon quasiment identique. Pour chaque œuvre, Nicolas donnait le meilleur de lui-même…
Malgré les contraintes, Nicolas entra de plain-pied dans le chef-d’œuvre de Dana. Six mois de « concetto ». Le code se mettait en place. L’étape suivante s’annonçait. Faire de nouveaux dessins, noircir le papier, utiliser les recoins de la feuille, envers comme endroit, pour créer un espace, des personnages, des ombres, des contrastes. Des centaines de croquis ! D’un simple geste, il rehaussait le trait pour trouver l’indispensable harmonie, le parfait équilibre, l’illusoire perfection. La plume et le fuseau, courant en tous sens, ébauchaient une première matérialisation du « concetto ». Ses dessins devaient le traduire, en s’inscrivant dans une dimension spatiale établie, voulue.
Nicolas ne puiserait pas dans ses croquis de la campagne romaine. Il les piocherait dans le Languedoc, ceux établis en haut du donjon du château, offrant un panorama complet, un magnifique 360 degrés. Idéal pour situer le lieu… Les paysages du Languedoc confirmaient l’exception à la règle des vues de Rome. Une centaine d’esquisses à disposition. Une matière suffisante pour intégrer les paysages. Il regardait ceux du château, barque de pierres posée sur une colline. Le point central du paysage, au cœur de la toile…
L’étape incontournable demeurait les paysages. Dans un premier temps, il ne se souciait pas des personnages. Architecture et paysages, il s’attachait aux éléments. Pour déterminer les reliefs, les perspectives, les lumières, Poussin miniaturisait l’ensemble dans sa boîte optique qu’il avait créée et fabriquée. Il l’utilisait beaucoup, disposant les figurines de terre ou de cire qu’il modelait de ses mains. La boîte optique, un espace où se dessinait la relation intime entre la figure et son environnement. Il obtenait ainsi une première approche de ce que donnerait son travail.
Le châssis posé sur le chevalet, il attaquerait directement la toile. Il pensait à un format moyen, autour du mètre, respectant la Divine Proportion. Il l’enduirait d’abord d’une préparation rougeâtre, pas trop foncée, ni trop claire. Imprégner la toile. La règle et le compas pour asseoir les perspectives. Un côté lumière pour indiquer l’Est, le lever du soleil, la vie. Un côté sombre pour l’Ouest, le coucher de l’astre, la mort.
Nicolas misait sur un an de travail. Son objectif : atteindre la perfection ! Pour Dana ! Pour l’Apport Primordial !
DESSINE-MOI UN POUSSIN
Ma situation est devenue chaotique le jour où mon entreprise n’entreprit plus rien et me libéra subitement de toute obligation vis-à-vis d’elle. Comme un bon nombre de collègues, après des années de bons et loyaux services, je me retrouvais sans boulot, avec un terrible sentiment d’injustice sur le cœur et l’amer constat que la reconnaissance du ventre ne faisait pas partie du vocabulaire patronal. L’entreprise m’octroya une prime ridicule, ne se préoccupa pas le moins du monde de mon avenir, ne me proposa aucun travail de substitution, ne me demanda pas de quoi seraient faits mes lendemains, ne me remercia même pas. Elle ferma purement et simplement ses portes et après avoir largement profité des largesses des subventions publiques partit sans vergogne vers des horizons asiatiques qui semblaient bien plus propices à son développement, un enfant étant une proie encore plus facile pour tous les marchands de bonheur artificiel, les sbires des pieuvres multinationales. Nous avions aussi des enfants, mais ils ne représentaient rien pour l’entreprise, si ce n’est de futurs consommateurs à convertir, à mouler, à éduquer dans le moule de l’arme suprême : la marque ! Nous nagions vers la béatitude des rivages de la mondialisation à tout va, du profit à tous les étages, de l’individualisation des bénéfices face à la socialisation des pertes, et des dessous de table dans la poche. Un drôle de jeu où quelques milliers d’individus accaparaient tout au nez et à la barbe de milliards d’autres. Ainsi allait la vie. Devant la justification d’une course au profit à tout prix nous en étions simplement à essayer de dire notre droit à la vie. Chiffres à l’appui, démagogie à la fleur du fusil, nous étions pris au piège d’une logique financière où le travail n’était plus un lieu d’épanouissement, mais d’asservissement.
Combattre fut inutile. Cela le fut d’autant plus que l’unique syndicat caca tripatouillait depuis des lustres avec le patron et que les actionnaires invisibles voulaient continuer à miser sur une croissance et un résultat à deux chiffres. Si l’on rajoute le ramassis de journalistes collabos qui s’empressèrent de pleurer sur notre sort tout en vantant la sacro-sainte loi du marché, la volaille prête à dégainer la matraque au moindre dérapage, alors que l’action du Groupe s’envola à l’annonce de notre disparition, nous étions comme des veaux que l’on menait à l’abattoir. Notre sort était scellé. Dans l’univers impitoyable de la nouvelle technologie, dans l’antre de la nanotechnologie, science de l’infiniment petit, nous n’étions que des puces.
Quand ça vous arrive après plus de quinze ans d’ancienneté, on se dit que ce n’est pas possible, qu’un repreneur va reprendre, qu’un marché va s’ouvrir, qu’un nouveau composant va réveiller les rois du marketing, bouleverser le merchandising, qu’un nouveau process va révolutionner le machin, faire sauter le bazar, que les Américains vont débarquer, que les Chinois vont arrêter de chinoiser, qu’ils n’oseront pas fermer une boîte qui gagne plein d’argent, qui a fait les preuves de sa rentabilité et de sa productivité… Non, ce n’est pas possible. Et pourtant oui, c’est là, ça vient… Ce qui compte, ce n’est plus la rentabilité de l’entreprise, c’est le cours de l’action, la mise qui rapporte, le plaisir de l’actionnaire, le petit train-train du rentier, le jeton de présence de l’administrateur. Pourquoi investir dans une machine qui tombe en panne ou un homme qui s’arrête, voire ose se mettre en grève, alors qu’un bon coup de Bourse, par la grâce du clic, génère bien plus de profit, avec un retour quasi immédiat sur investissement ? Le marché des capitaux à longs termes est avant tout le marché des âmes en berne où la spéculation s’engraisse au rythme des cotations qui dégraissent.
On sait d’avance que la partie est perdue. On se prend à se laisser porter par la colère, à rêver de manifestation emportant tout sur son passage, faisant rendre gorge au patron, à imaginer une chaîne de solidarité enchaînant les petits chefs kapos au mur de l’indignité, à espérer que toutes les boues du monde recouvrent ces êtres virtuels sous des tonnes d’immondices… L’utopie du désespoir.
Vient alors le désarroi. C’est précisément à cet instant que la procédure procède et que les lettres laconiques de licenciement, avec accusé de réception, fleurissent dans les boîtes aux lettres. Là, pas de surprise. Ce n’est pas comme la roulette des augmentations au mérite. Tout le monde à la sienne. On méprise, on rit jaune, on pleure, c’est terminé le sursis. Jusque-là, la fin de l’entreprise, ce n’était qu’un concept. Avec cette lettre, elle devient réalité : madame, monsieur, kénavo ! Les libéraux n’ont rien de l’agneau et de jeunes loups carnassiers se disputent les dépouilles avec la bénédiction des syndics locaux qui en profitent pour se servir généreusement au passage. Avec eux, c’est sûr : si la merde se vendait, les pauvres naîtraient sans trou du cul !
MON POUSSIN
Que celui qui n’a jamais rêvé d’un trésor lève la main ! Nous avons tous en tête l’île au trésor du capitaine Flint ou l’extraordinaire opulence du comte de Montecristo. Depuis des siècles, le « Sésame, ouvre-toi ! » d’Ali Baba passe de génération en génération sans perdre de sa magie. La graine est semée. Nous grandissons, gagnons en maturité, l’adolescence et les jeux de pistes continuent de faire vivre en nous, plus ou moins consciemment, l’illusion du trésor. La graine germe. Enfin, nous devenons adultes, mais continuons de cultiver cette fleur du trésor qui est en chacun de nous.
Certains vont au plus simple. Les jeux d’argent sont avant tout, dans leur motivation profonde, une course au trésor. Le gain est connu d’avance et la chance d’y parvenir définis en fonction du nombre de joueurs, mais le procédé relève de la même logique. Il met simplement le trésor à la portée de tous. Cela peut rapporter gros, c’est facile et immédiat. La télévision emboîte le pas en proposant des émissions stéréotypées où les millions, payés en majeure partie par les téléspectateurs qui appellent, se distribuent entre deux publicités. Le profil du chercheur de trésor de ce début de millénaire est avant tout celui du consommateur. Tout et tout de suite. La question n’est plus de chercher, mais de gagner. La motivation n’est plus celle de savoir, mais de savoir ce que l’on pourrait faire de cette richesse subitement acquise.
Qu’importe, le mythe du trésor est en chacun de nous. Il est souvent synonyme de rêve, de liberté et de fortune. Plages de sable fin, limousines, villas, mannequins, le trésor ouvre les portes de la matérialité également inhérente à ce début de millénaire. Nous voyons le bon côté des choses, le côté pile du trésor. Nous préférons négliger l’autre versant. Nous oublions qu’il peut aussi devenir un cauchemar.
La légende qui entoure la disparition de l’équipe de Carter lors de la découverte du tombeau de Toutankhamon en 1922 reste une rumeur tenace. Un an après l’ouverture du tombeau, cinq membres de l’expédition sont morts, dont lord Carnavon, le mécène de Carter. Les victimes présentent toutes les mêmes symptômes d’asphyxie. Aux yeux de l’opinion publique, Toutankhamon devient une machine à tuer. Conan Doyle, le célèbre créateur de Sherlock Holmes, parle alors de la malédiction du pharaon qui s’abat sur les profanateurs. C’est l’imagination au pouvoir. L’hystérie gagne l’Angleterre. On a découvert depuis que ces morts étaient dues à un champignon, l’Aspergillus Flavus, et que c’est l’inhalation des moisissures qui a provoqué des allergies pulmonaires mortelles. La rumeur court toujours, même s’il faut se rendre à l’évidence : l’explication fournie aujourd’hui par la science est irréfutable. Cet épisode démontre cependant qu’un trésor peut être synonyme de danger. Il appelle à la vigilance. Les convoitises sont nombreuses. Combien de victimes pour les trésors des Templiers, de Delphes ou des Wisigoths ? Combien de morts pour les pyramides d’Égypte ou les épaves des Antilles ? Jouer au loto est assurément moins dangereux.
Chaque trésor a son décor, ses protagonistes, sa clé. Mal ou bien, noir ou blanc, ténèbres ou lumières, il y a indiscutablement un côté pile et un côté face dans un trésor, le bon côté l’emportant très largement. Un trésor est sans conteste avant tout du bonheur. Peu importe sa forme. Il mobilise toutes les énergies, il est à la base de toute grande quête. Celles du Graal ou de l’Arche d’Alliance sont peut-être les plus connues. Il en existe bien d’autres. Devenir immortel, invisible, immensément riche ou voler, sont des utopies tout aussi insaisissables. Rêve, quête, le trésor se cache souvent derrière chacun de ces termes. Nous naviguons ici dans le domaine de l’illusoire.
Pourtant, ces rêves fous deviennent parfois réalité. Il y a près d’un demi-siècle que l’hélicoptère de Léonard de Vinci a pris son envol. De toutes les histoires sorties de l’imaginaire de Jules Verne, seul le voyage au centre de la terre reste à accomplir. Ce qui est impossible aujourd’hui sera peut-être vrai demain. Alors que l’espérance de vie était de trente ans à l’aube du premier millénaire, on nous la promet pour demain à plus de cent. Les liaisons multicanaux bouleversent le paysage. Notre futur est fait de mille découvertes, mille rêves inaccomplis. Tout est possible, tout semble possible. Dans ces conditions, trouver un trésor apparaît presque comme quelque chose de très banal. Il ne s’agit rien de plus que de déterrer quelque chose enfoui depuis des lustres, le terme déterrer s’entendant dans une large interprétation, du secret de famille au coffre de louis d’or, en passant par l’archéologie.
Trésor et richesse sont intimement liés. Encore faut-il s’entendre sur le mot richesse. Matérielle ? Spirituelle ? Diogène dans son tonneau était aussi riche que Crésus dans son palais. La connaissance et la sagesse équivalent pour certains à toutes les richesses du monde. La vraie richesse n’est pas toujours celle que l’on croit. S’améliorer est un enrichissement difficile à mesurer. « C’est la vérité profonde du chercheur de trésors : il a trouvé la fortune avant de découvrir la cachette ». Robert Charroux, alors Président du Club International des chercheurs de trésors, avait déjà parfaitement identifié la motivation du véritable chercheur. À ce jeu, se connaître soi-même est peut-être la plus grande richesse apportée par un trésor.
LA COURSE AU BONHEUR
L’autochtone local étant à l’envahisseur estival ce que la sardine est au cachalot, il est surréaliste d’écrire qu’une saison estivale n’existe que dans une logique où l’on peut se demander si la présence de ceux qu’on dénonce ne s’abandonne pas à la triste résignation de ceux qui renoncent.
Cerné par la meute des tongs, sandalettes et espadrilles, à la suite d’un accord n’ayant pu se formaliser faute de désaccords majeurs, et réciproquement, j’ai décidé, moi général des rafiots et des épaves, décoré de l’ordre des filets, intronisé dans la confrérie des chahuts, munis des pouvoirs qui ne m’ont pas été conférés, de lancer mon gant à la chenille touristique qui non contente de nous exposer des culs malbouffiens qui vous feraient regretter de naître slip, des queues de suv, de chariots, de poussettes et de déambulatoires faisant l’apologie de la roue, de nous imposer une condescendance à tous les étages par des parvenus de passage, pousse l’outrecuidance à nous jeter à la face la navrante réalité d’envahisseurs, d’otages du boulot en permission, de parfaits petits soldats de la consommation, de faiseurs de ville volets l’hiver.
Sus aux colonisateurs de la cuisson ultraviolette ! Sus à la prise d’otages estivale ! Sans peur, malgré les reproches, je le dis haut et fort : vive le Val-André libéré ! Vive le Verdelet par grande marée !
AUX SONS DE MES LUMIERES
Courrier à Estelle pour la suite des Élucubrations. Elle, enthousiaste, moi réservé. Des relations épistolaires fréquentes et enrichissantes. Un précieux soutien sur le bizarre chemin de l’écriture. Elle a eu pour Paroles sans note une analyse sereine. Besoin d’elle. Corriger, guider, inspirer. Relations étranges, sincères, emplies d’une affectivité s’affirmant au fur et à mesure de nos courriers.
Boticelli,
Bosch,
Rabelais,
Copernic,
Du Bellay,
De Vigny,
Le Titien,
Poussin,
Vous auriez pu, douce amie, choisir avec plus de bassesse. Le gage d’un goût dont on ne saurait dire s’il dégage l’exquis parfum de quelque senteur sidérale ou s’il guide vers autre chemin de bonheur. Concevez que vos aspirations les plus sincères vous emportent vers ces berges des Libertins spirituels ou ces plages de la Pléiade.
Monsieur de Montaigne vous dirait aisément
Que dans ces Essais vous trouverez à y bien chercher
L’esprit de liberté.
Bon, si tu le prends sur ce ton là… Reste !
Tu en veux encore ? Encore !
Non, je ne suis pas avec toi !
J’ai vu du rêve à pas cher chez l’autre !
Dans ces autres vies que vous dessinez avec tant de bonheur s’y mêle un soupçon d’inquiétude, une vague d’incertitude qui se posent avec douceur sur votre joli visage. N’avez-vous pas peur de cette chaleur de solitude dans laquelle vous vous réfugiez ? Étrange amplitude qui prend corps dans les silences, les retraits dedans l’être.
Rappelle-toi… Oui, je sais, Barbara.
Non, pas elle. Ce que je vous disais.
Juste l’étincelle. Vous savez, l’étincelle ?
Dans nos regards. Face à face.
Magie de la création ? Illusion ?
Vous vous rappelez ? Oui, vous souriez.
Vous êtes là, là-bas,
Ici, vous souriez…
Pouvez-vous dire, tendre amie, du drame à ne pouvoir s’exprimer ? Sans doute faut-il prendre conscience de cette petite lumière que nous avons tous en nous et qu’il faut entretenir, ou embraser selon les cas, pour l’emporter de l’allumette au flambeau. Trouver grâce à vos yeux. Imaginer cette main sur vos longs cheveux ! La recherche scripturale n’est qu’un jeu dont nous sommes les pions, avec une envie indéfinissable, cachée là, en nous, guettant, commandant, enjoignant, errant de vers ici ou de vers là, mais là, intraitable. Écrire. Vous la voyez, cette main dans vos cheveux ? Suivez le guide, en patience…
Suivre qui ? Suivre quoi ?
Suivre qui, Pour qui, pourquoi ?
Les guerres d’Italie sont-elles finies ?
L’ombre de Chéreau plane-t-elle toujours ?
Le mari offre-t-il encore les mêmes bas ridicules ?
La séduction est-elle vraiment l’arme du taureau ?
Lundi, patience, mardi, licence,
Mercredi, délivrance, les autres jours seraient-ils des jours de chance ?
Un déplaisir certain à ce que soit abandonné le Vélin d’Angoulême au profit de ces supports trahissant l’esprit de la plume. Il faut s’y rendre et on y sombre avec une déconcertante facilité. Mais, rien ne pourra supplanter le bonheur qui vibre sous la plume. La plume et le clavier, un mariage de raison ?
Oser vous imaginer est déjà une surprise en soit. Vous êtes là, avec ce large sourire séducteur et coquin, cette hardie franchise spontanée et réfléchie, cet artifice vous poussant à conquérir alors qu’il n’y a plus qu’une barrière à franchir. Vous imaginer perdue sur cette scène d’Iroise, emportée vers cette richesse innée que vous entretenez avec flamme et passion. Vous imaginer perdue sur les rimes de Ronsard, oscillante entre vos doutes sur une foi chargée de lourdeurs acquises et la certitude d’y trouver une sérénité nécessaire à toute stabilité. Votre chemin. Vous découvrir presque sans surprise, comme deux chemins qui se croisent, comme s’il était écrit que nous serions là, à ces instants précis…
Juste l’étincelle… Vous rappelez-vous ?
BREST M’AIME
Le fin du fin, chez Simon, c’était sans conteste Garfunkel, un goéland qui s’était installé là depuis un bail et qui ne semblait vraiment plus du tout partant pour le moindre envol. Il avait dû prendre l’immeuble pour une falaise ou pour un garde-manger. C’est en s’attaquant sournoisement à une canette de bière mise au frais sur le balcon que le gros piaf avait découvert l’endroit. Une fois ouverte à coup de bec, la canette avait fini dans le gosier de la bestiole, cette dernière, titubant sur le balcon, étant par la suite bien incapable de s’envoler, avait pris racine.
De prime abord, voir un goéland bourré, Simon avait trouvé ça drôle. Il s’était empressé de renouveler l’opération devant des copains, tout aussi amusés. Visiblement le volatile y prenait goût. Il se montrait même d’une sociabilité à toute épreuve, à tel point qu’il avait vite pris ses marques : délaissant le balcon, il se risqua à quelques petites incursions dans l’appartement, histoire de voir… Depuis, le Goéland, rapidement baptisé Garfunkel par Roger, à cause qu’il était nostalgique du « condor pasa» et du célèbre duo américain, avait vite pris ses aises. Il ne montrait pas le moindre signe de départ, comme si ses ailes s’étaient soudainement repliées pour ne plus jamais s’ouvrir. Son mètre et demi d’envergure, c’était bien du passé. Cela faisait maintenant deux ans que cela durait. Personne n’aurait misé un kopeck sur le départ de Garfunkel, tellement il faisait dorénavant partie du décor. Il mangeait comme un ogre tout ce qui passait à sa portée, buvait comme un trou à la moindre occasion, ayant découvert le vin rouge avec une joie non dissimulée. Il ne sortait pratiquement plus sur le balcon que pour ses besoins. Garfunkel était même devenu frileux, ne manquant jamais une occasion de se coller au radiateur dès qu’il en avait la possibilité.
Force était de le reconnaître : Garfunkel avait dégénéré. Il était devenu obèse, une véritable éponge. Une sorte de déchet palmé qui se dandinait d’un bout à l’autre de l’appartement à la recherche de nourriture, car il fallait aussi se rendre à l’évidence : Garfunkel était aussi un tube, un vrai charognard. Philosophe, Simon voyait le bon côté des choses en avançant qu’au moins, il n’était pas difficile question bouffe, qu’il faisait une économie certaine en sacs poubelle et que, sans le dresser, Garfunkel avait toujours été propre, ce qui n’était pas forcément le cas pour tout le monde, et qu’avec une bonne averse et un bon vent de noroît cela suffisait à nettoyer le balcon.
Simon se rassurait comme il pouvait, mais Garfunkel présentait également un autre inconvénient de taille. C’était un mélomane, bien que son répertoire se limitât à une seule chanson, qu’il reprenait sans montrer le moindre signe de lassitude. Chanter, c’était aussi beaucoup dire. C’était en fait une sorte de cri allongé, entre pleur et raillerie dont le refrain était par contre parfaitement identifiable « ô kailli, cococo, oh, oh ». Le jeu de scène de Garfunkel laissait aussi à désirer. Il se limitait à relever et à baisser la tête tout en ouvrant le plus largement possible le bec. Bref, question vocalise, ce n’était pas ça. Là encore, Simon se montrait rassurant en prétendant que ça aurait pu être pire. Au moins son volatile ne chantait pas la nuit. En plus, il ne ronflait que très peu… N’empêche, à travers les murs pas toujours très bien insonorisés de l’immeuble, un autre cri rageur sortait parfois du fond de l’abîme : « ta gueule, la mouette !» Cri, il faut bien l’avouer, qui n’avait que peu d’incidence sur les prestations de la nouvelle star de Simon.
Ceci étant, Garfunkel respectait la clientèle, ce qui était tout à son honneur. Il savait attendre son heure, guetter les quelques restes qui subsistaient parfois dans les assiettes que Simon lui mettait de côté. Après, il allait faire sa sieste ou se mettait tranquillement sur le canapé pour se faire un petit Derrick à la télé. C’est ainsi, qu’au fil du temps, Garfunkel s’était fait du lard. Il n’avait plus grand-chose à voir avec ce bel oiseau élancé qui était venu se poser sur le balcon. Ce n’était plus qu’un machin court sur patte qui chantait faux, qui ressemblait désormais bien plus à une outre pleine. Côté standing, il n’entretenait pas non plus le doute, affichant désormais un cousinage certain avec le porc, en rotant largement bien plus que la moyenne. Comment pouvait-il néanmoins être propre ? Une question sans réponse.